Vers Taumata­whakatangihanga­koauau­o­tamatea­turi­pukakapiki­maunga­horo­nuku­pokai­whenua­kitanatahu

Après une quinzaine de kilomètres en pleine circulation, une gentille cycliste me convainc de ne pas prêter attention aux panneaux "interdit aux chevaux" et d'emprunter un chemin menant à la plage plutôt que de faire les dix derniers kilomètres sur bitume.  Je vois le soleil se coucher magnifiquement sur Cape Kidnappers et arrive à la nuit noire chez Jaci, à qui Yakov rend aussi visite. Le lendemain, Angus Gordon, le propriétaire historique de Clifton Station, nous emmène repérer mon trajet. J'ai appris son histoire et celle de sa famille en lisant le bouquin qu'il a écrit, "In the shade of the cape". Génération après génération, ils ont façonné ce territoire pas banal. Le fils d'Angus, Tom, trente ans, a maintenant pris la relève. J'ai aimé le bouquin, qui raconte sans détours mais avec plein d'anecdotes les challenges rencontrés par ces agriculteurs entreprenants, et je suis honorée de faire plus ample connaissance avec l'auteur.

Forte du repérage, je pars pour une jolie ballade à travers champs en laissant pour une fois tranquille carte et GPS.  Je passe la nuit à Haupouri, un élevage de chevaux d'obstacle qui en compte environ 200. Mais tout le monde est à Horse of the Year, bien sûr!

C'est le premier jour de l'automne et pour fêter ça il pleut... Je parcours la plage d'Ocean beach, celle-là même où Talya m'avait emmené surfer, bien différente sous la tempête. Je vois quand même deux surfeurs se jeter à l'eau!

A Waimarama, Damian, rencontré brièvement à Haupouri, m'a proposé un endroit pour la nuit. Tel qu'il l'a décrit, c'est très rustique, avec un lit, toilettes à l'extérieur. Mais en fait c'est plutôt charmant, et incroyable surprise... Il y a un sauna! Je m'y prélasse pendant que Bo et Wiki explorent les options gastronomiques offertes par le jardin.

Le ciel est clair quand je repars, empruntant un magnifique chemin carrossable qui serpente dans les prés. Il s'agit de Te Apiti, une "paper road", c'est à dire une voie d'accès théoriquement publique, mais qui a été plus ou moins privatisée (certaines sont même barrées de portails fermés à clef, d'autres se sont transformées en pâturages...).  En chemin, je me rappelle que j'ai un contact habitant justement "Te Apiti road", Harvey Nelson. Le téléphone ne passant pas, je débarque sans prévenir au crépuscule, ce qu'il prend avec le sourire.

Le jour suivant aurait pu être le dernier de mon voyage. J'attache wiki et Bo a une clôture, le temps d'aller récupérer mes bagages. Quand je reviens Wiki est couché par terre, un postérieur pris entre deux fils de fer. Je joue du couteau suisse pour le libérer, mais il reste au sol, respirant mal. Des fois il agite les pieds et tente de se relever, sans succès. J'appelle un vétérinaire comme si j'appelais le 112, il traite mon appel avec sérieux et promet d'arriver vite. Il ne faut pas forcer Wiki à se lever, mais je peux lui donner de l'herbe. Après quelques bouchées, un dernier effort pour se lever est le bon, Ô miracle Wiki se met sur ses quatre pieds. Je le palpe partout et le fait marcher: il est complètement indemne, prêt à repartir! (Moi un peu moins, il me faudra deux heures pour me remettre).

Je suis une petite route en gravillons. Avant de rejoindre le goudron, je m'adresse à un fermier, dans l'espoir d'être autorisée à couper par les champs.  C'est ainsi que je rencontre Nigel, sa femme Carla, leur fille Jessie (qui gagne un tour de poney sur Wiki), son collègue Nick et le propriétaire Marc. Ils sont adorables et je trouve des prétextes pour m'arrêter toute une journée: l'heure de la marée basse n'est pas pratique (pile à l'aube et au crépuscule), et ils doivent tondre les fesses de leurs moutons - ils vont avoir besoin d'aide! Je suis donc embauchée comme balayeuse-trieuse de laine, pendant que Nigel et Nick tondent près de 400 derrières. Beaucoup de moutons se salissent en déféquant (pas tous), ils sont ainsi nettoyés avant l'arrivée du gang des tondeurs (vrai on dit comme ça). La tonte est réputée être un travail dur, et les éleveurs font ce qu'ils peuvent pour leur faciliter la tâche.

Nick (25 ans, cinq enfants!) m'avoue avoir toujours rêvé de déplacer les troupeaux à cheval. Ça tombe bien, moi aussi!  L'après-midi il y a justement quelques brebis égarées à aller chercher. Nick n'est à peu près jamais monté à cheval, mais il est vaillant! Il encaisse toute la ballade avec le sourire, y compris quelques turbulences de Bo qui n'est pas d'humeur. Tout ça en faisant son travail, sifflant et criant aux chiens, qui se laissent un peu emporter par leur joie (à un moment ils disparaissent dans les sous bois avec les moutons).

Pour la suite, Marc s'est démené pour me trouver un itinéraire et des contacts. Il me propose deux itinéraires pour repartir: la plage (difficile) ou la crête de la coline qui la surplombe (très difficile). La plage est magnifique, mais barrée de gros rochers. N'arrivant pas à convaincre Wiki de s'engager (il y met tellement de mauvaise volonté qu'il se coince le pied là où Bo est passé doucement mais sûrement), je fais demi-tour, moitié par faiblesse, moitié par sagesse . Le chemin de crête est finalement bien plus à ma portée.

J'arrive tôt au "château sur la colline" demeure familiale de Chip McHardy, recommandé par Marc. Il m'accueille à bras ouverts, met à ma disposition un châlet, et même un quad pour me déplacer dans la propriété! On reçoit une surprenante visite: Brando, alias Wildboy, un kiwi d'une vingtaine d'année qui fait depuis plus d'un an le tour du pays à pied, vivant de chasse et de pêche (dans ses 38kg de bagages il a une carabine, des palmes...) Malheureusement il va vers le nord et moi vers le sud.

Les chevaux se reposent une journée pendant que j'aide à la maison (vitres) et à la ferme (clôtures). Je repars direction un autre contact de Marc, Scott Hunter, dont l'adresse est facile à retenir: Hunter road!  Il m'accueille très gentiment avec sa femme Jacky et leur progéniture blonde. C'est leur aînée (un tout petit bout) qui me guide dans leur impressionnante maison pour me montrer ma chambre. Scott et sa famille ont plein de chevaux, de polo, de dressage, et aussi pour la ferme. Ils me dépannent en maréchalerie mais à mon grand désaroi il va bientôt falloir rechausser Wiki de neuf.

Pour une fois, il y a un événement sur mon chemin, et au moment où je passe: un concours de chien de berger. Je m'arrête quelques heures les regarder pousser les moutons entre des portes. Ce sont les loupés qui m'intéressent le plus, mais ceux-ci ne font pas rire du tout les propriétaires, pour qui les chiens sont une passion, mais aussi un outil de travail et un revenu (ou un investissement).

J'atteins en milieu d'après-midi un objectif complètement arbitraire: le lieu au nom le plus long de Nouvelle Zélande (et même de l'univers selon le pub voisin), qui signifie "là où l'amoureux à joué un morceau de flûte à sa belle, et à glissé à genoux en bas de la coline" (toujours selon les informations récoltées au bar).

En bramant vers Castlepoint

Comme je suis sur le goudron toute la journée (ce qui devient rare), je décide de camper pour compenser. Mais étant sur la route, je suis repérée et on me propose toutes sortes de plans. Je suis finalement attirée par la chaleur du foyer de Wendy et Hamish. Ils ont décidé de réintroduire le cheval dans leur travail (l'élevage de moutons, pardi!) et viennent d'acheter un joli "Ngati Horse" pie. On profite d'avoir trois chevaux sous la main pour partir faire une petite ballade ensemble le matin. Je donne Bo à Wendy, pensant leur faire une fleur à tous les deux, car c'est une bonne cavalière. Ça change Bo des débutants, et elle devrait l'apprécier à sa juste valeur. Wendy n'est pas monté a cheval depuis longtemps, mais je lui assure que Bo est très fiable, que les enfants débutants arrivent à le monter, etc. Malheureusement pendant la ballade, Bo n'apprécie pas d'être derrière le cheval de Hamish (un hongre), il monte en pression, jusqu'à lui décocher de violentes ruades, avec une énergie que je ne lui connaissait pas. Heureusement Wendy s'accroche et reste dessus. Moi qui d'habitude était si fière de mon magnifique poney de promenade, j'ai un peu honte!

Je quitte l'agréable compagnie de Wendy et Hamish direction Herbertville via Tautane station. La ballade est un vrai bonheur, à travers champs, avec vue sur l'océan, sur un chemin facile à suivre. Je traverse une étendue d'eau peu profonde qui sépare Herbertville de la plage quand Bo trébuche et peine à se redresser. Je me retourne et Wiki a le derrière dans l'eau. Ils se dégagent tous deux en vitesse sans que j'ai le temps d'intervenir, juste le temps de me dire "c'est donc ça, les sables mouvants"...

On campe devant Pipi Bank station, dont le responsable, David, est un passionné de cheval. Il me présente à Ann qui m'emmène en reconnaissance en quad, et surtout ouvrir le cadenas qui condamne le portail entre Pipi Bank et la ferme suivante. Après une matinée plage et repos, je pars pour une jolie ballade: 10 km annoncés, mais en réalité près du double. En quad c'est la même chose, à cheval c'est une bonne heure de plus... J'arrive à la tombée de la nuit, mais le responsable de la ferme Te Akitio, Tim, fait preuve de la légendaire hospitalité kiwi et en peu de temps les chevaux sont au pré et nous devant une bière et un repas. Je reste deux jours à Te Akitio, une raison étant qu'un fer de Wiki est usé jusqu'à la corde, et que Tim connait quelqu'un qui peut me dépanner. Le quelqu'un en question est une petite blonde, Erin, surnommée "possum". Wiki lui en fait voir de toutes les couleurs (ainsi qu'à Tim qui fini la main en sang - une nouvelle fois j'ai honte!). Elle ne se démonte pas et à force de persévérance et de douceur arrive à lui poser le fer.

Ici aussi il y a tonte de fesses de moutons. La méthode est différente, il y a une machine pour coincer le mouton. Mon rôle est de trier les moutons sales des moutons propres, et d'alimenter la machine en moutons sales. Je fais aussi voiture escorte du troupeau d'un pré à un autre. Autre divertissement: le brame du cerf a commencé, on part en repérage. Tim prend une bouteille de vin et passe chercher son collègue Mike qui vient les mains chargées de bières. Un troisième compère nous rejoint, lui aussi avec ses boissons. Ils se mettent à bramer a qui mieux mieux, et je ne peux retenir un gros fou rire. Une fois calmée, je me lance aussi. Mon brame a beau ressembler à un beuglement, son côté juvénile semble fonctionner sur les jeunes cerfs. On en voit un descendre de la coline d'en face et s'approcher tout près. Heureusement on est seulement en repérage, il a la vie sauve. Je comprends mieux pourquoi certains portails sont fermés à clef: chaque fermier protège son terrain de chasse, car si plusieurs personnes viennent bramer dans le même coin, ils risquent de s'attirer mutuellement et d'être déçus quand ils se retrouvent face à face...

Pour repartir de Te Akitio, une amie de Tim, Kate, m'a montré par où passer. Elle m'a aussi expliqué où traverser la rivière, mais sur le terrain ce n'est pas évident. Je traverse donc un peu hasard.  Quand je crois avoir traversé sans encombre, les chevaux s'enfoncent. On en ressort tous les trois boueux et tremblants, juste quand passe Scott, le fermier du coin, qui nous invite chez lui. On ne dit pas non, et on a tous les trois droits à une douche! Je rencontre sa femme Jodie, trois de leurs quatre enfants et leur "helpix" (autrement dit leur woofeur domestique), Julia, qui vient d'Allemagne.  Le lendemain, Scott nous emmène Julia et moi à la chasse au cerf. Cette fois c'est du sérieux, on se lève tôt et on marche à pas feutrés, repérant les empreintes et les branches cassées. Après une longue ballade silencieuse dans le bush, on abandonne. C'est le moment que choisi le cerf pour se montrer, mais comme on n'est plus en mode furtif il nous voit avant et disparait. On voit aussi quelques petits cochons sauvages et personnellement je ne suis ravie par la sortie. J'enchaîne sur une magnifique ballade sur la plage et un bivouac près d'une rivière. Le lendemain est la dernière étape pour Castlepoint. Je rencontre en chemin Brett et Jenni qui sont en week end dans le coin. Ils m'invitent pour le café et même pour une douche (je suis encore boueuse de la chasse au cerf!). Brett fini par m'accompagner jusqu'à Castlepoint en montant Bo. A l'arrivée on a droit a un sacré comité d'accueil: Jenni qui vient le chercher, des amis à eux, et... Yakov, Jaci, Marino et Pounamu qui sont venus passer un week end en roulotte!

Castlepoint et suite

Notre petite tribu gipsy s'installe à Castlepoint station, en même temps qu'une pluie persistante. Le temps n'est pas idéal, mais la bonne humeur de Jaci, Marino, Pounemu et Yakov met du soleil dans notre campement. On brave les éléments pour aller jusqu'au phare, ce qui en vaut bien la peine. La formation rocheuse où il se trouve est fantastique à explorer.  De grosses vagues qui s'éclatent dessus et éclaboussent à plus de dix mètres de haut. Le tout environné de pingouins, de cormorans, de phoques et de surfeurs.

Le soir, on a droit à la spécialité de Yakov, la potée de chou (cuisinée par Pounemu), idéal pour se remémorer les bons moments passés ensemble.

Comme les meilleures choses ont une fin, ils repartent, me laissant seule avec la pluie. Je me rapproche de l'imposante maison où habitent les maîtres des lieux, Emily et Anders Crofoot, leur fils David et Holly leur impayable Jack Russel. Ils m'ouvrent les portes en grand et m'invitent à rester aussi longtemps qu'il pleuvra, c'est-à-dire une semaine entière. Ça ne me fait pas de mal de me reposer complètement, et j'ai au bout du compte pas mal de distractions. Emily reçoit beaucoup de monde chez elle, par exemple tout une classe de lycéens option agriculture avec qui je visite la ferme. Un autre jour, David m'emmène surfer. Mouillés pour mouillés... Sur les petites vagues, avec sa méthode "en trois temps", j'arrive à me lever du premier coup!  Enfin, le père d'un ami à lui (il y a Scowy père et Scowy fils) m'emmène à la pèche. Avec Scowy père, "Captain Rob" et deux autres compères, nous nous éloignons à toute vitesse des magnifiques côtes de Castlepoint en bateau à moteur puis sortons les cannes à pêche. On a à peine le temps de mettre les lignes dans l'eau que ça mord. Suit un moment où je suis paralysée par un fort mal de mer, malgré les médicaments que mes équipiers m'ont fait prendre préventivement. J'arrive à peine à rester assise, yeux fermés. Ça commence à aller mieux quand j'entends "Alex, tu aimes les dauphins?" et toute nausée disparait quand j'en vois des dizaines jouer à cache cache autour du bateau.  Une mère et son bébé font même de la natation synchronisée. Je suis désormais en forme pour pêcher et suis initiée à deux techniques. La première, mettre une ligne au fond et attendre que ça mord, en espérant qu'il s'agisse d'un "tarakihi". J'en attrape un, ce dont tout le monde se réjouit, et j'attrape aussi un gros barracuda, ce qui me fait exulter mais qui laisse de marbre mes équipiers. Il parait que ça ne se mange pas. L'autre technique est de promener un leurre dans les trente mètres au dessus du fond, en le secouant comme s'il s'agissait d'un poisson blessé. Cette technique s'adresse aux "kingfishs", dont on attrape deux beaux spécimens.

De retour à Castlepoint, on décide avec Scowy fils d'aller à cheval au pub, où Trish, la très sympa femme de ménage d'Emily, fête son anniversaire. On emmène notre poisson avec nous et il est transformé sur le champ en fish & chips! Quand on sort de là il fait nuit noire, mais on peut compter sur les chevaux pour trouver le chemin du retour.

Scowy qui n'était pas monté à cheval depuis des années y reprend goût et propose de m'accompagner une journée. L'itinéraire nous est concocté par Bill Maunsell, figure de la région. Notre première étape nous amène... Chez Trish! Mary et Kerry, des voisins des Crofoots, ont gentiment proposé d'amener mes sacs et de récupérer Scowy. Mais la journée lui ayant plu, Scowy rempile pour quelques jours! Je laisse quelques affaires derrière pour faire de la place sur Wiki, que je monte en licol. Ça se passe à merveille, que ce soit au pas, au trot ou au galop, devant ou derrière Bo. Il arrive même à ouvrir et refermer quelques portails.

On rencontre d'incroyables créatures. D'abord un émeu, chez Trish. Le bruit de tambour africain sortant de son poitrail terrorise les chevaux toute une nuit. Puis un poney de 47 ans, qui lui aussi fait peur aux chevaux - blanc et squelettique, on dirait un fantôme. Enfin, une famille branchée endurance à cheval, dont la fille de onze ans est inscrite à l'épreuve de 120 km à la finale nationale!

On profite de l'incroyable hospitalité kiwi, d'abord Roger et Mel qui nous trouvent installés dans leur abri à laine, puis Andy (dit Tick) qu'on vient surprendre au bout de son allée privée de trois kilomètres, et enfin Peter et Heather, chez qui on atterri complètement par hasard. Comme le hasard fait bien les choses, ce sont des gens de chevaux.

Mary et Kerry, toujours prêts à rendre service, viennent rechercher Scowy et me ramener mes affaires, plus un cure-pied et quantité de plats lyophilisés de la part de Scowy!