Du possum braisé pour Noel
A Hamner le pré de Zelda et la maison de Mary nous tendent à nouveau les bras. Mais il faudra attendre deux jours pour revoir ladite Mary, partie trekker à cheval, seule avec un gamine de 7 ans!
Notre itinéraire de rêve reprend à Poplar Station. En théorie, un chemin public permet d'y accéder mais dans les faits il n'est pas praticable, c'est une "paper road", elle n'existe que sur le papier. Les autres accès sont privés et payants... Sauf la Highway 7, l'équivalant d'une petite nationale. On passe deux jours sur cette highway 7. C'est le temps qu'il faut à notre campagnarde de Fern pour s'habituer au frôlement des semi-remorques. Elle se retrouve plusieurs fois dans des endroits inappropriés, emmenant avec elle un Steph un peu surpris: en haut d'un à-pic de 4 mètres de haut (qu'aucun cheval ne peut gravir, aurait-on parié un quart de seconde auparavant), au milieu d'un petit embouteillage, bloquant le trafic (dans les deux sens...). On finit par arriver à Poplar Station où Kevin Henderson nous permet d'utiliser un de ses prés pour la nuit. La pluie arrive et on a beau rester dans la tente le plus tard possible le matin, elle nous attend. On commence justement la journée en traversant la Hope River, réputée facile mais qui ne l'est pas par ce temps! On traverse les bras de la rivière un par un, et comme l'eau monte, on redoute de ne pouvoir ni reculer, ni avancer! Nos bottes en caoutchouc se remplissent d'eau, il ne faudrait pas aller beaucoup plus profond ou les chevaux perdraient pied. On est soulagé quand on passe le dernier bras, jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'on est seulement dans le delta de la rivière. Il en reste autant à traverser! Après la traversée complète, on est partis depuis près de deux heures et avons parcouru à vol d'oiseau seulement un kilomètre! Quelques heures plus tard, après pas mal de dénivelé et un passage délicat en zone marécageuse, on se retrouve exactement là où on devait, mais du mauvais côté d'un portail fermé par un cadenas. Par d'autre choix que de rebrousser chemin, jusqu'à repasser à un kilomètre de notre point de départ. Il est 17 heure! Il y en a au moins un qui est content: Waka. On a laissé son chargement au portail, et il en bondit littéralement de joie.
Trop en retard pour boucler l'étape, on fait un arrêt improvisé à Hope Shelter, un joli refuge peu fréquenté. Le lieu nous porte chance, Steph piège son premier opposum, trois chasseurs qui ont eu trois cerfs (soit un sacré paquet de viande à porter chacun) nous donne un énorme filet, et on le déguste avec deux pécheurs à la mouche norvégiens (grüt!) qui cuisinent l'accompagnement! Un vrai festin, sans même toucher à nos réserves! Ils nous expliquent que la saison est particulièrement propice à la pêche à la mouche, car il y a une "grande fainée": les hêtres produisent cette année une quantité particulièrement abondante de faines. Les souris mangent ces faines et le truites mangent les souris, il y a donc des truites de taille record dans les rivières. Ils nous demandent si on a vu des souris, car eux n'en ont vu aucune. Cela nous surprend un peu car elles sont vraiment partout: on leur marche presque dessus sur les sentiers et on se bat au quotidien avec elle pour garder notre nourriture. Cette nuit-là encore ils les loupent: pendant qu'elles visitent bruyamment leur sac, ils sont occupés à ronfler à qui mieux mieux. Ils nous est plus aisé de pendre leur sac à un crochet que de les reveiller, et il est possible qu'ils soient retournés en Norvège sans avoir vu une seule souris.
Après une journée de repos, on a une grosse journée jusqu'à Lake Station Hut, généreusement prêtée par Ted Phipps. On suit un sentier muletier, le "kiwi pack track", mais des arbres en travers sont un casse-tête à passer à cheval, il faut contourner, débroussailler, et parfois sauter! La largeur des caisses est un vrai challenge pour Waka, qui doit composer avec les arbres au sol tout en évitant ceux qui rétrécissent le chemin en largeur. Il faut être honnête: Waka réalise des prouesses. On estime avoir besoin de le décharger une fois, même si c'est pénible le passage est vraiment trop difficile. Mais Waka ne nous en laisse pas le temps, sous nos yeux ébahis il arrive à sauter et se faufiler en même temps, et sans rien toucher! Une journée de repos s'impose et le cadre s'y prête, on a le lake Sumner pour nous (on ne croisera personne pendant 5 jours). On pêche l'anguille mais ce qu'on ramène, ce sont des champignons! Et Steph trappe son deuxième opposum, ce qui tombe bien car on ne savait pas quoi faire pour Noël!
Le 24 décembre, on se rend à Deep Creek Hut (Eskhead Station), via le Lake Masson. C'est un refuge des plus cosy (il y a même de l'éclairage solaire), le temps est au beau fixe et l'opposum rôti à point.
Pour le jour de Noël, on s'offre Dampier Range. Pete Langford, qui a parcouru le pays à cheval, m'en avait parlé il y a plus d'un an, me disant que ça vallait le détour et que le frisson était garanti. Lui-même a été ému aux larmes en atteignant le sommet. Il s'agit de franchir une chaîne de montagnes, sans se perdre! Sur la carte, pas de chemin, seulement des lignes de niveau (des tonnes!). On doit notre salut à Tony, qui nous a donné quelques point GPS. De 8h du matin à 15h, on grimpe sur des crêtes, cavale sur des pierriers. En fin de compte on arrive à Anderson Hut où on fini la journée de façon assez paradisiaque, dans un état d'esprit que seul la fin d'un effort procure. Cette journée semble avoir soudé notre petit troupeau de 2 bipèdes et 3 équidés. On a marché toute l'étape, ne faisant pas de pause pique-nique avant d'avoir retrouvé l'herbe de la plaine, les chevaux semblent apprécier et compter désormais sur nous. Au début on les attachait tous la nuit, puis seulement deux sur trois. Ce soir on décide de n'en attacher qu'un. Les peuples cavaliers utilisent la technique de l'attache à la marraine: ils attachent la jument dominante du troupeau et les autres laissés en liberté ne s'en éloignent pas. Fern serait idéale dans ce rôle, mais elle ne sait pas brouter au bout d'une longue corde, elle s'emmêle et risque de se faire mal. On innove donc avec l'attache "à l'oie du Capitole": on attache Wiki, pro de la longue corde, pour qu'il donne l'alerte si les autres s'éloignent. On avait déjà expérimenté la chose malgré nous, une nuit où Waka s'était détaché et était parti explorer les alentours avec Fern. Ils n'étaient pas loin heureusement, car dans notre hâte de les retrouver on avait quitté le refuge en bottes de pluie et en sous-vêtements! La nuit se passe sans alerte et le lendemain, tous les chevaux sont là! On ne sait pas s'ils sont restés pour Wiki, pour nous, ou juste parce que le coin leur convenait, mais c'est tant mieux!
Quelques jours de rando facile, ensoleillée et sublime nous amènent à Mount White, puis à Flock Hill Station. Entre deux, on traverse une rivière majeure, la Waimakariri River, plus impressionnante par sa beauté que par son courant après tout ce beau temps.
A Mount White on est accueillis par Sunny et ses amis chasseurs avec de la bière et des victuailles. Le retour à la civilisation a du bon! A Flock Hill, l'accueil par Richard est tout aussi chaleureux. Richard et Anna acceptent de garder les chevaux une semaine ou deux pour qu'on puisse prendre des vacances ;) A nous la fameuse côte ouest, sans "les enfants"!
Touristes et cowboys
On a deux semaines devant nous pour découvrir l'Ile du Sud en campervan. Mais on est de retour à Flock Hill après moins d'une semaine, car les chevaux nous manquent et aussi peut-être parce que rien ne vaut le "high country", même pas la touristique côte ouest. On revoit Tony et Fiona, qu'on aide à faire le foin, ainsi que Mary, qu'on aide comme d'habitude à vider le frigo et en prime à descendre le champagne! On est le 31 décembre. On finit 2014 avec des "lamburgers" (lamb=agneau) et on commence 2015 dans des piscines naturelles d'eau chaude, le long de la Hope river qu'on avait eu tant de mal à traverser quelques semaines plus tôt. Puis on se dirige vers la fameuse West Coast. A Cape Foulwind, on observe les phoques qui allaitent leurs petits. Mais la grosse attraction touristique ce sont les Pancake Rocks. On arrive à marée haute, quand les vagues s'engouffrent dans des grottes verticales et ressortent d'un trou par gerbes (tel un évent de baleine), devant une foule qui fait des "oh" et des "ah".
C'est là qu'on rencontre Briar, la fille de mon ex-collègue Noel, qui vit avec son copain Kane et leurs trois chiens à Greymouth. On passe quelques jours avec eux et on fait une rando ensemble. Ils nous montrent comment attirer les merles en creusant des trous dans la terre, et nous apprennent que les larves de "huhu" (une espèce endémique de scarabée) sont comestibles. Elles auraient même un petit goût de beurre de cacahuète! Steph qui a servi de cobaye l'a confirmé, mais la tête qu'il faisait semblait démentir.
On retrouve nos chevaux camouflés au sein d'un troupeau de vaches marrons. Ils ont besoin d'être referrés mais le maréchal, Nick, ne peut pas venir avant une semaine. Ceci dit, tous les fers tiennent encore bon, ce qui mérite d'être souligné car ils ont été posés par Earl Paewai il y a deux bons mois (et même trois mois pour certains), et 600km plus tôt! Depuis, on a juste du remplacer des clous et remettre une fois un fer. Le tungstène sur les fers de Wiki a fait des merveilles, auparavant ils s'usaient en deux ou trois... semaines!
On est donc en mesure de jouer les cowboys quand l'occasion se présente, c'est-à-dire quand Richard Hill nous demande si ça nous dérangerait de donner un coup de main pour déplacer des vaches. On est embauchés trois matinées. On se lève avant l'aube, aux alentours de cinq heures du mat', pour éviter les heures chaudes. D'abord on ramène deux vaches et leurs veaux qui avaient été oubliés lors du dernier rassemblement, à une dizaine de kilomètres de là. Puis on aide à rassembler tout un troupeau dans des enclos, où les veaux doivent être séparés de leurs mères (ce qui est plus facile à dire qu'à faire) pour être marqués et castrés, après quoi les vaches les récupèrent telles des mamans à la sortie de l'école. C'est Fergus, 18 ans, qui est à la tête de l'opération! Enfin, on emmène vaches et veaux vers un nouveau pâturage, avec Fergus et Charlotte (l'une des filles Hills), tous à cheval et aidés de nombreux chiens. On a été sollicités pour aider, mais pour nous c'est une expérience de rêve. Les chevaux ont l'air d'apprécier eux aussi, ils ont beaucoup d'allant, mais heureusement ils restent à notre écoute même si comme d'habitude on les monte en licol.
Au cours de la semaine nous nous rendons à Christchurch pour vendre le campervan et organiser notre ravitaillement pour la suite, envoyant par la poste des colis de nourriture (pour les chevaux et pour nous). On retourne en "bus-stop" à Flock Hill (c'est l'autostop qui était au programme mais c'est un bus qui nous a pris). On s'installe aussi confortablement que possible dans l'abri à laine, où on reçoit la visite surprise de plusieurs groupes en visite guidée. La surprise est réciproque! On apprend au passage deux ou trois trucs sur les moutons. Pour tuer le temps qui nous reste et explorer les environs, on joue au geocaching, une sorte de chasse au trésor au GPS.
Les chevaux enfin rechaussés (et même vermifugés), nous sommes prêts à partir vers les stations de montagne mythiques: Castle Hill, Mount Algidus, Erewhon...
Au milieu de la Terre du Milieu
Au bout d'une quinzaine de kilomètres, on voit déjà Castle Hill. Il y a "juste" la gorge d'une rivière à traverser pour y arriver. Après avoir arpenté ses bords pendant un bon moment, on aperçoit du côté opposé un chemin qui permet d'en ressortir. On trouve aussi un chemin pour y descendre, mais les deux ne sont pas du tout en face l'un de l'autre! Il nous faut remonter la gorge de la rivière, dont l'eau est vive (mais heureusement plutôt basse). Le fond étant douteux, dans le plus pur respect de la tradition kiwi qui veut qu'on ne randonne pas en gardant les pieds secs, je mets "pied à l'eau" pour guider les chevaux. Cet itinéraire a beau être tordu, il nous amène à destination, où nous sommes chaleureusement accueillis par le manager et le couple d'origine hollandaise qui a récemment fait l'acquisition de la station. Castle Hill est à voir: d'énormes rochers calcaires y sont éparpillés de façon spectaculaire, ce qui lui vaut de servir de lieu de tournage (Le Seigneur des Anneaux, Narnia,...) et d'attirer les grimpeurs de bloc du monde entier. La station est étrangement coupée en deux par la "State Highway 73", l'un des principaux axes est/ouest. On saute sur l'occasion pour faire du stop et aller au rodeo qui a lieu vers Christchurch, à 100 km de là. On voit de nos propres yeux des cowboys monter des "broncos" (chevaux particulièrement doués en ruades) et des taureaux, des compétitions de lasso et même du "bulldoging" où un cavalier lancé en plein galop se jette sur un torillon et lui fait une clef de cou pour le mettre au sol.
Le lendemain, on prend la direction du lac Coleridge. Notre itinéraire passe par une petite station de ski: pas de doute, on est à la montagne! Il nous faut passer un col (Coleridge pass), qui semble déboucher sur une falaise, tellement la pente est raide. Un vent très fort nous repousse, mais il nous faut nous rendre à l'évidence: c'est bien par là! D'ailleurs on voit le lac tout en bas, une jolie flaque bleue dans son écrin de montagnes. Une fois redescendus tant bien que mal dans la plaine, une clôture nous donne littéralement du fil à retordre. Les épineux "matagouris" qui envahissent tout nous empêchant d'accéder au portail (si tant est qu'il y en ait un), on ne voit pas d'autre solution que de faire passer les chevaux... Par dessus la clôture! On arrive a l'abaisser et à la passer sans l'abimer, ni elle ni les chevaux, mais l'ensemble de l'opération prend du temps et de l'énergie.
On campe à Lake Coleridge Station puis le lendemain à l'autre extrémité du lac, le plus loin possible de l'emplacement réservé au camping sauvage car une pancarte indique "new grass, keep off" ("ne pas marcher sur l'herbe nouvellement plantée").
Les grosses chaleurs et la sécheresse des derniers temps font place le temps d'une journée à une bonne pluie et du froid, mais pas de quoi faire beaucoup monter les rivières. Heureusement car deux rivières majeures nous attendent, la "Wilberforce" et la "Rakaia", qui isolent complètement la station "Mount Algidus". Dans les années trente, Mona Anderson pose pour la première fois les yeux sur cette station dont elle vient d'epouser le propriétaire. Elle y vivra près de trente ans et son autobiographie, "A river rules my life" ("Une rivière régit ma vie"), deviendra un best-seller. Elle y raconte les difficultés liées au climat et à l'isolement (et quelques drames provoqués par la rivière, impliquant des chevaux!), mais surtout met en lumière la richesse d'une telle vie, où au niveau des relations humaines comme des activités, le quotidien et l'extraordinaire se côtoient. Ce mode de vie laborieux et solidaire, où la nature, les hommes et les animaux sont intimement liés, est emblématique de la Nouvelle Zélande. Plus d'un visage s'éclaire à la seule mention de "Mona Anderson". Mais elle n'est plus et Mount Algidus est une station comme les autres, hormis le fait qu'aujourd'hui encore aucune route n'y mène: il faut traverser une rivière pour s'y rendre! Les bâtiments décrits dans le livre (la maison, le réfectoire, les écuries, l'abri à laine) sont intacts. On croirait que rien n'a changé, mais le propriétaire Jamie Smiley nous apprend que les chevaux ont été remplacés par les hélicopters pour rassembler les troupeaux! Wiki, Waka et Fern ne semblent pas offusqués, surtout qu'ils se voient offrir un magnifique pré.
Après une ballade dans le lit de la rivière Rakaia, nous arrivons à Manuka Lodge, où nous prenons pour deux nuits les "shearers' quarters" (les quartiers des tondeurs), un petit cottage. Don, Julie, leur fils Will et sa copine Mary Ann font tourner en famille l'élevage de moutons (exclusivement pour la laine) et leur lodge de chasse, où une clientèle internationale vient chasser les trophés: cerfs, chamois, thars... Ils nous invitent à leur barbecue, très apprécié après une semaine de lyophilisé! On repart à travers les stations de Glenfelloch, Lake Heron et Mount Arrowsmith, avec certainement un peu trop d'entrain car la bouteille d'alcool à brûler se vide dans une caisse et le pot de miel dans l'autre... On passe toute une journéee à Boundary Creek Hut, un refuge du DOC. Les refuges de ce type offrent un relatif confort (il y a même un enclos!), tout en étant en pleine nature. En prime, on y fait des rencontres sympatiques: des chasseurs, une famille de randonneurs, un cycliste. On laisse autant que possible les chevaux en liberté, ce sont des moments privilégiés.
L'étape suivante vers Mistery Lake puis Lake Clearwater est un peu difficile (avec du denivelé et des difficultés de terrain), mais on est récompensés par la vue. Le bord du lac est habité de résidences secondaires, de véliplanchistes, pêcheurs à la mouche et autres plaisanciers. Parmi eux, Eleanor et son mari Barry, qui nous couvrent de petites attentions pendant notre court séjour. Ils nous apprennent que le Mt Sunday, qu'on longe le lendemain pour se rendre à Erewhon station, n'est autre qu'Edoras dans "Les Deux Tours", le second volet de la trilogie du Seigneur des Anneaux!
Out of Nowhere
Dans les années 1860 (le temps des pionniers en Nouvelle Zélande!), le britannique Samuel Butler rassembla plusieurs fermes pour en faire une immense station qu'il nomma Mesopotamia. De retour en Angleterre, il écrit "Erewhon" (anagramme de "nowhere"), une fiction située en Nouvelle Zélande. Il raconte à la première personne comment, s'enfonçant dans la montagne à la recherche de terres exploitables, il découvre une société étonnante, celle des erewhoniens, où par exemple être malade est un crime durement punis, mais être un voleur attire la compassion, l'aide et les soins. Ce roman satirique connaitra un grand succès, au point d'être ré-édité près de 100 ans plus tard.
La station Erewhon fit un jour partie de Mesopotamia, en dépit de la Rangitata, une rivière de quelques 4 kilomètres de large, qui les sépare. Elles sont aujourd'hui indépendantes. La station Erewhon a été rebaptisée ainsi dans le courant du 20ème siècle en référence au roman de Samuel Butler. Elle est aujourd'hui gérée par Colin et Erin qui y elèvent des moutons, des vaches, mais surtout des chevaux de trait Clydesdales. Nous y "woofons" une semaine, c'est à dire que nous sommes nourris et logés en échange de travail. Ici les woofers font l'essentiel des travaux de la ferme. Il y a déjà quatre ou cinq woofeuses quand nous arrivons, mais heureusement il y a largement de quoi occuper tout le monde! On vermifuge les moutons, ce qui est toujours une bonne expérience (et une première pour Steph), sauf pour nos vêtements qui souffrent des coups de cornes. Puis la santé de leurs dents et de leurs pieds doivent être vérifiés (sous peine de passer à la boucherie!) et nous sommes chargés de les attrapper un a un, de les retourner sur le dos et de les trainer jusqu'à la zone d'examen. Au début ils ont le dessus sur nous (ils ne sont pas très coopératifs, et bien plus forts qu'ils n'en ont l'air!), mais on apprend vite à les mettre sur le dos en moins de temps qu'il ne leur faut pour comprendre ce qui leur arrive. On fait de la menue paille, en passant des fagots d'orge dans une antique machine qui les broie. On débarrasse un champ de ses chardons, avant que soit fait le foin. Foin et orge servent à nourrir les chevaux, qui sont plus d'une soixantaine. On a la chance de les voir à l'oeuvre, six d'entre eux tirant une énorme cariole et huit autres labourant un champ, lors d'une démonstration organisée pour un groupe de touristes. Pendant notre temps libre on monte nos chevaux, trottant et galopant dans les collines pour les garder en forme. Et on regarde des films locaux comme la trilogie du Seigneurs des Anneaux, aux paysages familiers!
Le temps est mitigé et la météo annonce beaucoup de pluie: nous décidons de partir avant que la Rangitata soit infranchissable. Erin et Colin nous encouragent avant de partir: "C'est la rivière la plus dangeureuse que je connaisse" "il ne pleut pas ici mais des pluies en amont peuvent gonfler la rivière". Nous chargeons les chevaux avec deux semaines de vivre, tout en sachant que nous pouvons être bloqués par la rivière et revenir le jour-même. Un vent très fort se lève, nous pouvons à peine garder les yeux ouverts, mais les chevaux avancent bravement. Le vent est tellement fort qu'on est mouillés par l'eau de la rivière, avant même de l'atteindre! On traverse un premier affluent, la Clyde River, réputé le plus dangeureux, dans ces conditions fortes et avec de l'eau a mi-poitrail. Après la traversée je dis à Steph "On a les meilleurs chevaux du monde" et il répond gravement "Oui, c'est vrai", alors qu'en général il se moque toujours un peu d'eux, surtout de mon Wiki car il trouve que je l'encense trop.
On traverse sans problème la Havelock river, l'autre affluent de la Rangitata, mais on rencontre en route une grosse pluie et un glissement de terrain qui a emporté le chemin! Vers 13h (cinq heures après être partis), complètement détrempés, on fait une pause définitive au confortable refuge "Black Mountain Hut", qui appartient à Mesopotamia. Le lendemain, seulement 12 km nous séparent de la station Mesopotamia, à priori en terrain facile car il suffit de suivre la rive droite de la rivière. On se met donc en route le coeur léger malgré le mauvais temps. Rapidement on se retrouve coincés par un bras de rivière qui vient butter contre une partie verticale de la rive, pour continuer nous devons traverser ce bras... Deux fois! Puis un autre. Et il en reste au moins autant devant nous! Un orage se lève et nous met dans une situation inconfortable, entourés de l'eau de la rivière que nous avions déjà pourtant traversé entièrement la veille, et dont le niveau monte... Nous envisageons toutes les possibilités, y compris rejoindre la rive gauche et se réfugier à Edoras (si seulement la cité n'avait pas été détruite après le tournage...), la plus sensée semblant être de retourner au refuge. Les chevaux commencent à craindre l'eau et nous aussi, car elle est opaque et rien ne permet d'en dire la profondeur. Les derniers mètres de la dernière (re)traversée sont terrifiants, Fern doit se pencher contre le courant et Waka dérive même de quelques mètres. Pour la seconde fois, on est très contents d'atteindre le refuge, mais on s'y attarde seulement le temps de se ressaisir et de sécher avant de partir à la recherche d'un meilleur chemin, et on en trouve un, qui passe plus haut dans les collines!
A Mesopotamia on est accueillis par Sue et Malcolm qui nous installent dans l'école primaire. Conçue pour les enfants des personnes travaillant dans la station (pas plus d'une quinzaine) elle a été fermée dans les années 2000, l'effectif étant tombé à deux élèves. C'est un lieu plein d'histoire, une curiosité pour les nombreuses personnes qui viennent "jusqu'au bout de la route pour voir" et une auberge de jeunesse au prix ultra compétitif pour nous! On y passe deux jours en attendant Maxence, une francaise qui se ballade à cheval en sens inverse du nôtre. Il aurait été dommage de ne pas se croiser.
La partie suivante est très engagée, avec un col à 2000 mètres d'altitude, l'endroit le plus haut où peuvent passer des chevaux en Nouvelle Zélande. Une première journée nous amène à Felt Hut (Mesopotamia, 1100m d'altitude). Deux bonnes surprises nous attendent: de l'herbe à foison et une vraie baignoire installée au bord de la rivière! Puis nous rejoignons "Te Araroa", le chemin de grande randonnée de 3000 km qui traverse le pays. A Royal Hut (fréquentée par le Prince Charles dans sa jeunesse), nous rencontrons Thore et Katrin, un couple d'allemands, puis Nina du Guatemala, tous trois des "TA SOBO" (Te Araroa SOuth BOund). Le jour suivant, après une journée de 12h et maintes prouesses des chevaux, qui ont du trouver leur chemin dans d'interminables pierriers autour du col "Stag Saddle", on retrouve les mêmes à Camp Street Hut. On est rejoint par Ron, un canadien "TA NOBO" (Te Araroa NOrth BOund), et sa guitare! Il nous enchante avec des chansons de cowboy (Don't fence me in", "Trail dreaming", "Riding down the Canyon"). Comme il n'y a ni enclos, ni arbre, on attache un cheval aux toilettes. Heureusement nos coloc' de refuge aiment bien les chevaux et n'ont rien contre le fait d'avoir ce genre de dame-pipi!
Nous arrivons enfin au magnifique lac Tekapo. Seul hic: il n'y a pas d'herbe! Les prés sont des étendues de terre désolantes. On trouve tout de même un coin d'herbe dans le delta d'une rivière, où nous dormons à la belle étoile, et que les chevaux quitteront à contre coeur le lendemain. A Tekapo village, on retrouve la civilisation et les journaux qui titrent sur la plus grave sécheresse depuis 50 ans... On hésitait encore sur la direction à prendre pour la suite: les Cavalcades, ou Queenstown? Les Cavalcades ayant lieu en plein dans la zone de sécheresse, nous avons décidé de nous rendre plutôt à Queenstown, en passant par les lacs Pukaki, Ohau, Hawea et Wanaka. Sarah de Mackenzie Alpine Horse Trekking nous laisse gentiment utiliser un pré et du foin pendant que nous nous ravitaillons et étudions la carte.