L'équipe se forme

Je retrouve Gerard à Hamilton, j'ai beau être une heure en avance il est comme par enchantement à la sortie du bus. On remorque sa roulotte jusqu'à Kawerau où sont les chevaux. La grande ville la plus proche est Whakatane (prononcez Fakatani c'est Maori), et la plus connue est Rotorua, avec ses lacs, ses geysers et ses spas (il y en a jusque dans les auberges de jeunesse). D'ailleurs Gerard nous a dégoté un bon plan: on campe dans le poney club, qui est à 10 minutes à pied d'une piscine et d'un jacuzzi naturellement chauffée, et gratuite! Les responsables du poney club sont juste un peu surpris, ils étaient au courant qu'on allait amener une roulotte, mais pas qu'elle serait habitée... Heureusement ils voient notre présence d'un plutôt bon oeil.

Je fais connaissance avec les chevaux de Gerard, et c'est un vrai bonheur de voir qu'ils sont gentils, bien dressés et proches de l'homme. Ils sont très différents l'un de l'autre, Bo est plutôt du genre chef de troupeau et il a un très bon niveau de dressage, alors que Buba est dominé par tout ce qui a quatre pattes et n'a presque jamais été monté. C'est un trotteur réformé des courses comme il y en a énormément ici. Gerard les aiment bien, car il est facile de passer du sulky à la roulotte (et en plus ils ne coûtent pas cher).

Buba est complètement apathique quand on le retrouve, certainement en partie à cause d'une déficience en sélénium (courante dans cette région volcanique). Heureusement Gerard diagnostique et traite aussitôt. Entre ça, les rations de maïs quotidiennes, et le fait qu'on sépare les deux du troupeau (au désespoir de Bo, qui perd ça cour, mais au profit de Buba qui peut désormais brouter en paix), on le voit se transformer en quelques jours, reprendre des formes et du peps.

Tellement qu'un jour il juge bon de me virer de la selle! Heureusement Gerard est là, il m'aide à analyser la situation et à y remédier: on longe Buba. Coincé dans un rond de longe, rênes attachées courts, long stick, il n'a pas bien d'autre choix que de faire ce qu'on lui dit: courir. C'est certainement une bonne façon d'asseoir son autorité, en tous cas il est redevenu bien mignon après ça. Longer devient mon exercice préféré, je ne me lasse pas de voir à quel point il est attentif à la voix et aux mouvements, capable d'apprendre vite et bien des ordres, et désireux de bien faire.

Autre moment marquant avec Buba: la découverte des vagues. Gerard nous envoie en van avec une de ses connaissances qui part se balader sur la plage. La bonne aubaine! C'est tentant d'aller tremper les pieds, me dis-je, mais Buba ne partage pas mon avis: la moindre vaguelettes l'effraie. Il faudra un bon quart d'heure de "Mais vas-y! Non j'veux pas" avant qu'il s'intéresse vraiment à la question et admette que c'est juste de l'eau.  Mieux vaut ne pas en avoir peur quand on voyage sur une île...

Au moins aussi important si ce n'est plus, je fais connaissance avec Gerard. Bonne pioche là aussi, il est très patient, tolérant, ouvert d'esprit, drôle, généreux envers tout le monde...  Et en plus il fait la cuisine! (Généralement pendant que je ramasse les crottins, répartition des taches qui me va bien, je trouve que j'ai la partie facile).  Il est branché roulotte et moi plutôt rando à cheval, mais il me propose de partir randonner quelques jours de temps en temps avec ses chevaux. Il a même repéré une belle rando, dont le départ est seulement à quelques jours de roulotte: le Motu. A force d'en parler à droite à gauche, on trouve une autre cavalière intéressée, et Gerard accroche à l'idée d'y aller lui aussi. On cherche un troisième cheval de toutes façons: la roulotte est trop lourde pour deux dans les montées. Ca ne devrait pas être dur à trouver, il y en a en surnombre dans la région. Mais ça reste un choix délicat (les gens cherchent surtout à vendre les chevaux qu'ils ne veulent pas), et les petites annonces n'offrent qu'un accès très limité au marché. Heureusement Malcolm, un ami de Gerard (par l'intermédiaire de qui il a acheté Bo et Buba), nous met sur la piste d'un cheval dont le propriétaire doit se séparer. Les raisons sont obscures: il doit aller en prison, mais de toutes façons son travail -tondeur de moutons- l'oblige a se déplacer trop souvent pour s'occuper d'un cheval. L'essentiel c'est que la raison n'est pas le cheval lui-même. C'est un trotteur comme Buba, que Malcolm le connait depuis qu'il a été réformé des courses. Il a randonné et même chassé le cochon avec le cheval en question (preuves en image à l'appui). Il nous raconte que son propriétaire l'avait vendu, mais les chevaux qu'il a eu par la suite étant décevants en comparaison, il l'a racheté (contre une vache! Un bien plus précieux car la viande se mange - allez expliquer à un anglo-saxon que le cheval aussi). Petit détail: il est maori, et les maoris sont réputés pour faire filer droit leurs chevaux. On passe le voir, c'est un petit cheval, pas épais mais avec de jolis muscles, et par bonheur, il vient amicalement vers nous. Dans son enclos il n'y à l'air d'avoir ni à manger ni à boire. Affaire conclue! Malcolm accepte de le récupérer et de nous l'amener (il est à une bonne centaine de kilomètre de notre QG), mais ça risque de prendre une bonne semaine. En tous cas j'ai un cheval, que je suis impatiente de vraiment connaitre.

Je ne suis pas mécontente de camper encore un peu au poney club. Déjà, on partage le quotidien de deux adorables chevaux. Et puis en ce moment il y a les championnats du monde de rafting à Kawerau! Le minimum c'est que j'aille supporter la France. Je fais aussi des ballades à cheval avec Debbie, une amie de Gerard, qui me prête une jument. Elle m'emmène même à une rando organisée pour lever des fonds pour je ne sais quoi (toutes les randos ont ce prétexte ici). On est plus de quarante cavaliers et on fini avec un gros barbecue. Mon végétarisme n'avait pas tenu jusque là de toutes façons. Je fais aussi de la rando à pied dans le coin, pour monter en haut du volcan qui surplombe Kawerau, Edgecumbe. Le chemin le plus raide que j'ai pris de ma vie!

Enfin on connait désormais le meilleur fish & ship de la côte Est, et peut-être même de toute la Nouvelle Zélande: Auntie's à Matata. On y a fait une rencontre mémorable: une maori qui nous a invité à visiter son Marae. C'est un lieu où la tribu se rassemble pour fêter les événements importants: il y a une cuisine, une salle des fêtes, une garderie, un bâtiment pour les personnes âgées, des prés, un cimetière et quelque chose qui se rapproche d'une église (mais décorée façon maori - par exemple sur la croix-totem on voit le fondateur de la tribu et ses quatre femmes!). On a passé la soirée avec cette femme, son mari et leur petit fils, à écouter leurs magnifiques chants (et celles de Gerard qui me sauvent la mise).

Le voyage a proprement parler n'a pas commencé mais on est déjà dans un autre monde.

La vie avec Kiwi

Un jour, Malcolm annonce qu'il nous amène Wiki. Comme je l'attends avec impatience, je tends l'oreille dès qu'un véhicule ralenti. Enfin, à la nuit tombée, un van s'arrête devant le portail. Je cours à sa rencontre mais je le vois repartir, dépitée. Je n'avais jamais fait attention qu'il y avait marqué "keep out" sur le portail mais eux si! Ils reviennent enfin une demi-heure plus tard et merveille: il est là en chair et en os! Il a bien profité des bons soins de Malcolm pendant une semaine et a de jolies formes. Quand on le met avec les deux autres, ils se mettent tous à courir dans tous les sens, ils sont magnifiques. Wiki est le plus petit, mais je trouve qu'il en impose avec son allure. Pourtant Buba, qui a été à bonne école avec Bo, se met à la chasser, ce qui le met tout en bas dans la hiérarchie.

Le maréchal, Neil Ash, vient tous les ferrer. Je demande à planter quelques clous, ce qu'il accepte de bonne grâce. Il voit qu'on s'intéresse à la question et il nous ravis avec une tonne d'explications. On a même droit a des schémas.  Il nous prépare un jeu de fers de rechange pour chaque cheval. Théoriquement, quand ils auront usé les fers qu'ils ont aux pieds, il suffira de les retirer et de clouer les nouveaux à la place, dans les mêmes trous. Au final, Neil nous accorde six heures de son temps, et nous fait même cadeau de son vieux tablier, qui est précieux pour ce voyage! C'est mon PRÉCIEUX!

Maintenant que j'ai un cheval, ferré qui plus est, il me faut une selle. Sur les conseils d'une vendeuse avisée, je reproduis la forme du dos de Wiki avec un fil de fer, et le compare avec les selles en vente. Je trouve une chouette selle de travail de bétail (spécialité australienne). Sous prétexte de l'essayer, je monte Wiki pour la première fois. Il est dynamique et docile, bref, adorable! Sa bonne nature se confirme quand on le fait travailler en longues rênes avec Buba, puis Buba et Bo. On dirait qu'il a fait ça toute sa vie.  On commence à se sentir prêts, le départ est imminent!

Olivia, une française intéressée pour rejoindre l'aventure, vient passer quelques jours avec nous.  On trouve le temps d'aller faire un petit tour à la rivière ou les championnats du monde de rafting s'achèvent. Après avoir vu défiler toute la planète sur l'eau, on voit enfin un raft au couleurs de la France. On acclame le beau parcours de nos compatriotes et magie d'être à l'autre bout du monde, on a la joie et l'honneur de boire un verre avec eux après l'épreuve!